Avec la vidéo, le mot podcast a-t-il encore un sens ?

Crédits : Julie Sebadelha - Paris Podcast Festival

Crédits : Julie Sebadelha - Paris Podcast Festival

En cette fin d’octobre 2022, les fans et les professionnel·les du podcast déferlent entre les murs de la Gaîté Lyrique, à Paris. C’est la cinquième édition du Paris Podcast Festival. Tables rondes sur l’avenir de la création sonore, sessions d’écoutes en avant-première, remises de prix… En quelques années, ce festival est devenu le Cannes du podcast, un incontournable pour les podcasteur·euses français·es. 

Ce moment de retrouvailles entre passionné·es a quelque chose de confortable. Ici, pas besoin d’expliquer pour la énième fois ce qu’est un podcast : tout le monde le sait déjà. Ou croit le savoir. 

La question “Au fait, c’est quoi un podcast ?” est probablement celle que l’on pose le plus à celles et ceux qui en font, ou au tiers des Français·es qui en écoutent. “J’ai dû expliquer plusieurs fois à ma grand-mère ce que je faisais, je ne crois pas qu’elle ait encore tout à fait compris”, s’amuse Marion, journaliste podcast et radio. “J’ai encore plein d’ami·es autour de moi qui me demandent ce que c’est !”, renchérit Agathe, venue assister à l’enregistrement public de Métamorphose, l’une de ses émissions préférées. Toutes deux ont la même définition du podcast, la plus communément partagée actuellement, fruit de 20 ans d’évolution : c’est une émission audio accessible en ligne à tout moment.

C’est donc une bombe que lâche Spotify, acteur majeur du podcast mondial, au deuxième jour du festival - dont il est partenaire. Au cours d’un atelier concernant “le futur du podcast sur Spotify”, l’entreprise suédoise présente sa nouvelle fonctionnalité : le podcast vidéo.

La foule rassemblée devant le premier Paris Podcast Festival en 2018 - David Dupuis, Paris Podcast Festival

En octobre 2018, 4500 personnes viennent à la Gaîté Lyrique pour le tout premier Paris Podcast Festival. Crédits : David Dupuis - Paris Podcast Festival

En octobre 2018, 4500 personnes viennent à la Gaîté Lyrique pour le tout premier Paris Podcast Festival. Crédits : David Dupuis - Paris Podcast Festival

Le podcast vidéo chez Spotify, ça donne quoi ?

Les créateur·ices peuvent désormais poster des vidéos sur la plateforme jusque-là consacrée exclusivement au son. Cette fonctionnalité, lancée en France dans la discrétion de l’été 2022, a commencé à décoller en septembre, et prend depuis le mois d’octobre un nouvel essor avec Canapé Six Places, le podcast de Léna Situations produit par Spotify Studios. Et podcast le plus écouté sur la plateforme depuis sa sortie. 

L’influenceuse alterne entre épisodes purement audio et épisodes vidéo. Dans l’épisode 2 de son podcast, elle reçoit ainsi l’acteur Pierre Niney, pour échanger sur l’humour et le deuil de la perfection. Le décor est très télévisuel : un immense canapé rose (et six places, donc), une table basse en verre, des mugs blancs élégamment disposés, un vase de fleurs, quelques plantes… Le tout baigné d’une lumière douce, très professionnelle. 

La présentation de Spotify au Paris Podcast Festival est disponible en podcast.

“On n’a pas pour ambition de devenir le nouveau YouTube, explique Laura Cordier, Podcast Partner Manager* chez Spotify France lors du festival. Mais on s’est rendu compte qu’il y avait un nouvel usage auquel on voulait répondre.”  Depuis quelques années, des créateur·ices de vidéos à destinations de Youtube, de Twitch ou des réseaux sociaux ont pris l’habitude de poster la version audio de leurs contenus sur les plateformes de podcasts. D’après le classement de l’ACPM, l’émission quotidienne d’Hugo Décrypte, Les actus du jours, fait par exemple partie des podcasts les plus écoutés en France. 

Spotify offre dorénavant aux créateur·ices la possibilité de poster directement leurs vidéos sur sa plateforme, ce qui lui permettrait de récupérer des consommateur·ices qui ne se seraient pas naturellement dirigé·es vers l’audio. Et sans, pour autant, imposer la vidéo à celles et ceux qui sont déjà mordu·es par le format. “On souhaite proposer aux utilisateurs et utilisatrices une expérience d’écoute hyper complète, où l’on peut écouter et regarder en totale liberté, précise Laura Cordier. On n’a pas du tout pour ambition de bousculer des habitudes d'écoute déjà installées, et de mettre de la vidéo partout sur Spotify de façon hyper intrusive.”

Cette liberté, cette flexibilité, se manifeste concrètement dans l’interface de Spotify : lorsque vous lancez un podcast disponible en vidéo, l’image s’affiche en petit en bas de l’écran. Vous pouvez la mettre en grand écran si vous le souhaitez, la laisser en petit, ne pas la regarder, la regarder quelques minutes, etc. En bref, le client est roi.

"Je ne suis pas sûre
de comprendre l'intérêt"

Crédits : Julie Sebadelha - Paris Podcast Festival

Crédits : Julie Sebadelha - Paris Podcast Festival

Mélissa Bounoua est cofondatrice du studio de production de podcasts natifs* Louie Media et membre du bureau du PIA, le syndicat des producteurs audio indépendants. Elle a assisté à la présentation de Spotify avec intérêt. Pour elle, l’arrivée de la vidéo proposée par Spotify est plutôt une bonne nouvelle pour le marché du podcast : “Pour le bien du marché du podcast, j’ai envie que les gens qui n’écoutent pas de podcast aujourd’hui les découvrent. Et si c’est par la vidéo, c’est très bien. Ça crée une audience plus grande et ça permet que les formats audio purs soient ensuite plus écoutés.” 

La vidéo serait ainsi une porte d’entrée vers le son, permettant de faire encore plus entrer le podcast dans les usages. Mais dans quelle mesure le public déjà conquis par le podcast pourrait-il trouver un intérêt dans la vidéo ? “La question que je me posais face à la présentation, c’est : qu’est-ce que ça apporte, au-delà de l’usage ?, poursuit Mélissa Bounoua. Par exemple, moi qui écoute des podcasts quotidiennement, je ne vois pas ce que la vidéo apporterait à mon expérience.” 

Rosalia écoute des podcasts depuis trois ans. En 2020, elle découvre l’émission Entre mecs de Ben Névert sur Youtube, des table-rondes où des hommes échangent sur leur rapport au corps, à la masculinité ou encore à la sexualité. “Je me souviens m’être dit que la vidéo n’avait pas beaucoup d’intérêt, c’était juste des personnes autour d’une table. Donc j’écoutais simplement, sans regarder mon écran”, explique la jeune femme. Ben Névert fait d’ailleurs partie des créateurs repérés par Spotify, qui postent l’audio de leurs vidéos sur les plateformes de podcasts. 

* Les podcasts natifs sont conçus et créés directement pour être diffusés en ligne, à la différence des podcasts de rattrapage qui sont des sortes de replay d'émissions jouées en direct à la radio ou à la télévision.

Pour Rosalia, l’avantage du son, c’est aussi la liberté de mouvement et de concentration qu’il procure : “Je préfère être libre de mes mains et de mes yeux, et juste écouter avec mes oreilles.”  Comme 85% des personnes écoutant des podcasts, elle a pour habitude de faire autre chose durant son écoute - un trajet, la cuisine ou encore le ménage. 

Jemily Rime est doctorante à l’université de York, au Royaume-Uni. Dans le cadre de sa thèse, elle étudie les innovations dans le podcast et travaille en collaboration avec la BBC. “Je ne suis pas surprise par le développement du podcast vidéo, explique-t-elle. Mais je ne suis pas sûre de comprendre l’intérêt. Le podcast est primairement écouté, tandis que la vidéo retient l'attention de façon beaucoup plus importante. Ça change la façon dont on consomme ce média.” 

Audio, vidéo et engagement

Crédits : Julie Sebadelha - Paris Podcast Festival

Crédits : Julie Sebadelha - Paris Podcast Festival

Le podcast est souvent décrit comme le média de l’intime. L’expérience d’écoute apporte une dimension personnelle, une proximité, que l’image peut atténuer pour certaines personnes. “Il y a une relation spéciale qui se crée entre l’auditeur·ice et le contenu qu’iel écoute, note Jemily Rime. Mais je suis sûre qu’il y a plein de personnes qui préfèrent regarder de la vidéo, c’est quelque chose qui peut être un peu plus immersif, un peu plus interactif, parce qu’on peut se sentir plus engagé·e avec quelqu’un·e que l’on voit.”

D’après Spotify, la vidéo permettrait effectivement une plus grande proximité avec les hosts. “Il y a beaucoup de gens qui ont besoin, à un moment, de voir les interactions, les expressions d’un host avec ses chroniqueur·euses, avec ses invité·es, pour mieux s’approprier le contenu, l’écouter plus durablement ou plus souvent”, explique ainsi Laura Cordier au Paris Podcast Festival. Or, un meilleur engagement implique de plus grands revenus publicitaires. 

C’est d’ailleurs dans cette optique d'engagement que l’on voit exploser depuis quelques années les formats de talk* et de monologue. En tant que célébrité, il est de bon ton d’avoir son propre podcast. Meghan Markle ou Michèle Obama aux États-Unis, EnjoyPhoenix ou Léna Situations en France. 

* Host : La personne qui anime son podcast et reçoit ses invité·es. Dans les exemples déjà cités, Ben Névert et Léna Situations sont tous les deux des hosts.

* Talk : Podcast conversationnel. Deux personnes ou plus échangent autour d'un sujet. A l'inverse, dans le monologue, une seule personne parle, en s'adressant directement à l'auditeur·ice.

Aux États-Unis, les revenus publicitaires générés par le marché du podcast sont en augmentation - 2 milliards de dollars en 2022, 4 milliards attendus en 2024 - mais sans commune mesure avec ceux générés par le marché vidéo. A titre d’illustration, YouTube a dégagé près de 29 milliards de dollars de bénéfices en 2021. Ce qui fait dire à Michael Mignano, cofondateur d’Anchor, plateforme de Spotify à destination des podcasteur·euses, que “toutes les routes du podcast mènent à la vidéo”.

Dans sa newsletter, l’homme d'affaires précise sa pensée, que l'on peut traduire comme suit : “Cela fait presque 10 ans que je fais partie de l’écosystème du podcast. D’aussi longtemps que je m’en souvienne, tout le monde a attendu que le podcast devienne un marché plus grand et plus équitable pour tous. La vidéo est peut-être la clé. Les podcasts vont peut-être aller dans le sens de la vidéo, mais c’est peut-être une très bonne chose pour toutes les personnes impliquées.”

Il n'hésite pas, d’ailleurs, à imaginer la disparition du podcast au privilège de la vidéo pure.

YouTube fait-il du podcast
sans le savoir ?

Au sortir de la présentation de Spotify France, les visiteur·euses du Paris Podcast Festival sont plus que mitigé·es. Un certain énervement se fait même sentir. "Ça me saoule, clashe Marie*, attachée de production dans un studio de podcast. On a déjà YouTube, on a des films… Je trouve que rajouter la vidéo, c’est inintéressant au possible !” Sa collègue Sarah* abonde : “Il y a la vidéo d’un côté, le son de l’autre… Si tu fais un ‘podcast vidéo’, tu fais une vidéo, c’est tout.” “Peut-être qu’il faudrait redonner à Spotify la définition de ce qu’est un podcast…”, ironise une festivalière. 

* Les prénoms ont été changés.

“Malheureusement, si Spotify dit qu’un podcast c’est un truc avec de la vidéo, ça l’est”, déplore Jemily Rime. Notre perspective du podcast serait influencée par les grandes entreprises, qui apportent leurs technologies au grand public. Elle pointe néanmoins une limite : “C’est une chose d’avoir une vidéo pour un talk, mais comment imaginer un podcast vidéo pour une fiction sonore ou un documentaire ? C’est un film, ou quelque chose comme une vidéo YouTube. Mais, dans ce cas, on a déjà une plateforme pour ça : YouTube. Et alors, est-ce que les vidéos sur YouTube sont toutes des podcasts ? C’est une question à laquelle on pourra répondre dans 10 ans.” 

A la fin des années 2000, en France, nous parlions de podcast pour définir des vidéos humoristiques postées sur YouTube - souvent des jeunes hommes jouant des sketchs, caméra posée dans un coin de leur chambre - mais aussi certaines vidéos, comme des replay d’émissions télé. “C’est juste en France que ce mot avait cette définition particulière, note Jemily Rime. Mais peut-être que la France était visionnaire en 2008 dans sa définition du podcast.” 

"Le terme podcast est démocratisé, mais il est obsolète dans son usage."
Mélissa Bounoua, confondatrice de Louie Media

Pour Mélissa Bounoua, YouTube relève de la même logique que le podcast : “Avec une chaîne YouTube, tu t’abonnes à un flux, tu as des notifications, tu peux regarder à tout moment… On ne dit pas que c’est un podcast, mais, en vrai, c’est la même technologie derrière…”  

Le mot podcast vient de la contraction entre “iPod” et “broadcast” (“diffuser” en anglais). Mais, aujourd’hui, cela fait longtemps que l’iPod a laissé sa place au smartphone, sur lequel nous consommons tous nos contenus, aussi bien audio que vidéo. “Le terme podcast est démocratisé, donc reste, estime Mélissa Bounoua. Mais il est obsolète dans son usage.”

Capturer l'essence du podcast

En 2022, Jemily Rime publie un article dans le cadre de sa thèse, intitulé “What is a podcast ?” dans lequel elle tente de définir ce médium, particulièrement versatile : “C’est comme si le mot podcast s’auto-générait : tous les jours, il change un peu de valeur et de définition. Sans que l’on s’en rende vraiment compte. Et c’est pour ça que la définition valable il y a 20 ans ne l’est plus aujourd’hui.” 

Même si elle soutient que le podcast est encore principalement de l’audio, cette vision fixe pourrait être complètement dépassée d’ici la fin de sa thèse : “Le podcast prend petit à petit des aspects d’autres médias, qui le changent. Il y a donc les podcasts qui deviennent comme de la vidéo, ceux qui deviennent comme des jeux vidéos… Les innovations futures du podcast auraient été exclues de la définition si j’avais utilisé le son comme base."

La doctorante s’est donc attelée à la mise en évidence d’une définition universelle du podcast, “en capturant l’essence de ce qu’est un podcast, plutôt que de le définir par des termes techniques”, raconte-t-elle. Ses recherches mettent en lumière le podcast comme étant à la jonction entre six tensions. Le podcast d’hier comme de demain serait un produit à l’équilibre entre :

  1. Personnalisation et automatisation
  2. Production indépendante et mainstream
  3. Contenu unique et universel
  4. Audience acquise et envisagée
  5. Immersion et interactivité
  6. Art et technologie

Schéma des six tensions - Jemily Rime

Schéma des six tensions - Jemily Rime

Schéma des six tensions - Jemily Rime

Les podcast vidéo tels que proposés par Spotify laissent le choix aux utilisateur·ices d’être regardés ou non, et de quelle façon. Ils impliquent une interactivité avec l’écran, différents niveaux d’immersion, la diversification d’une audience qui ne seraient pas conquise par l’audio brute…

Pour Jemily Rime, la vidéo ne dénature pas le podcast. “Même si, en tant que personne qui préfère l’audio, je suis un peu frileuse à l’idée de ramener la vidéo dans le podcast”, admet-elle. 

Affiche sur laquelle est écrit : "L'oreille est une zone érogène". L'un des slogans de la deuxième édition du Paris Podcast Festival, en 2019

L'un des slogans de la deuxième édition du Paris Podcast Festival, en 2019. Crédits : Julie Sebadelha - Paris Podcast Festival.

L'un des slogans de la deuxième édition du Paris Podcast Festival, en 2019. Crédits : Julie Sebadelha - Paris Podcast Festival.

La vidéo va-t-elle devenir hégémonique dans le podcast, comme l’écrivait le cofondateur d’Anchor dans sa newsletter ? “Je suis assez optimiste pour espérer que ce sont nos habitudes, en tant que société, qui décident de ce que l’on consomme, et pas uniquement les grandes entreprises, réplique la chercheuse. Peut-être que les podcasts vidéo lancés par Spotify ne vont pas prendre, ce qui rejettera naturellement la vidéo du monde du podcast...”  

Dans le cadre de ses recherches, Jemily Rime a les yeux - ou plutôt les oreilles - rivés sur d’autres innovations, qu’elle trouve bien plus enthousiasmantes : des podcasts encore plus immersifs grâce au son 3D, des podcasts “pirates” se déclenchant lorsque l’auditeur·ice se trouve à un certain endroit à un certain moment, ou encore des podcasts se déclinant en plusieurs durées, s’adaptant au temps dont on dispose pour écouter…

Si le mot podcast est de plus en plus flou, le destin du podcast audio est loin d’être scellé. Les amoureux·ses du son, sous toutes ses formes, auront encore de quoi se mettre sous la dent à l’avenir. “Le marché du podcast n’est plus si récent, relève Mélissa Bounoua, la cofondatrice de Louie Media. Mais nous sommes encore au début de sa structuration. Et ces choses-là prennent des années..."